La poire (autoportrait)



J'en eu la forme, voire les talents
de ce fruit noble et envoûtant.
L'assise ronde, ferme sous la main
si cueillie à temps au jardin
puis s'étalant comme chair blette
quand l'épuisement de l'âge la guette.
Elle se laisse volontiers couvrir
de brûlante sauce au chocolat
ou volontiers se fait chérir
de sabayons et sorbets froids.
Epépinée, pelée, hâchée
une larme de citron la conserve
la bonifie, la met en verve
même enfouie, gelée, glacée
dans les bas-fonds d'un saladier.
Son alcool fort mais délicat
royalement clôture les repas.
On la déguste et on l'oublie
une fois mangée c'est fini.
Peut-être un jour fut-elle belle?
Reste un trognon pour la poubelle.


À la page 419 de « la cuisine du marché » de Monsieur Paul Bocuse, j'ai déniché une recette de sabayon...
Merci à lui, ce fut une découverte bien agréable.
Sucre, jaunes d'oeufs, bien fouettés, vin blanc délicatement incorporé sur un feu très doux, quasi bain-marie,
comme une crème anglaise.
Parfumer au dernier moment d'un soupçon appuyé d'alcool de poire
et servir le tout avec fines tuiles ou crêpes dentelle sur des boules de glace au blé noir...
Un régal à vous faire oublier cette triste fin de fond de poubelle!



Brest 1992 ... Brest 2008



Un ver de terre émancipé
rosissait sur le sable
Il exhibait sa nudité
pour faire dorer son râble
l'impertinent...

L'hiver s'étonne de ces façons
l'été se maquille dans sa loge
mais sur la plage il fait si bon
au soleil d'avril qui dérange
l'impertinent...

Le ver de terre tout frétillant
ne songe qu'aux chaleurs
à ses amours, à ses amants
d'un jour, voire même d'une heure
l'impertinent...

Les ailes vives d'un papillon
folâtrent sur la grève
le ver équarquille ses yeux ronds
quel spectacle de rêve
impertinent...

Le ver de terre tombe amoureux
du papillon tout rose
la fête d'un amour heureux
sous un ciel en osmose
l'impertinent...

Au Moulin Blanc l'été suivant
les ailes furent nombreuses
à se croiser au gré des vents
d'une rade fastueuse
Le ver de terre étonné
par sa progéniture
se dit : «bon sang, ces nouveaux-nés
se sont fait des mâtures!»
petits impertinents

Moralité:
quand un ver prend son pied
méfions-nous des fantasmes
qu'il pourrait provoquer
l'impertinent...



Et pour rester dans l'ambiance des «Jean-Françouais de Nantes», pourquoi ne pas tester un Picon-bière, ou un «Pencran»?
Vous ne connaissez pas? C'est un café-remorque, un café arrosé : calva, lambig, armagnac...
Dans le coin, quand on est en voiture, pressé, coincé derrière un tracteur sur une route secondaire, le «Pencran» de la remorque reste gravé dans la mémoire...



MÉANDRES

C'était en septembre ...

Durant tout l'été

l'eau avait méandré dans les détours de ses rêves
déserté les vagues de l'océan
s'était évanouie en rosée

le sel avait fui le marais
disparu dans le soleil
s'était désagrégé jusque dans des pots de terre

les épis avaient refusé de germer
les moulins avaient ignoré le vent
les farines s'étaient enlisées dans les sabliers

le boulanger avait cherché son chat
le pétrin était resté sec
le pâton ne se levait plus le matin

les dernières miettes avaient moisi sans devenir panure
les souris ne trouvaient plus leur nid de mie
les bébés ne tétaient plus les croûtons

le pain faisait l'école buissonnière ...
il était perdu ...



Mêler dans une jatte un quart de litre de lait avec cent grammes de sucre en poudre, et laisser une gousse de vanille fendue dans sa longueur y macérer un petit moment . Dans un bol, battre quatre oeufs entiers comme pour une omelette .
Clarifier deux cent grammes de beurre dans une casserole en le faisant fondre à feu doux . Ecumer le dessus et récolter le liquide clair dans une poêle en évitant soigneusement de verser le dépôt blanchâtre de sa lie .
Tremper l'une après l'autre quatre belles tranches de brioches un peu rassises dans le lait puis dans les oeufs et les faire dorer au beurre dans la poêle .
Servir avec de belles fraises de Plougastel de ce début d'automne .

Manifestation pacifique

Ce poste doit être maintenu .
Les constipations financières de l'état doivent être traitées de façon appropriée .
L'avenir de nos enfants est en jeu .
Situation parfois délicate que celle de parent d'élève .

Mon imaginaire se morfond dans des méandres, malaises, insomnies ...
Réveils difficiles .

Autant faire la fête, se réunir autour d'un festin, voir la vie en rose, comme à Toulouse, affronter une mêlée ouverte, transformer l'essai, renforcer ses arguments ... autour d'un plat unique, convivial, gratiné : un cassoulet .

Ce plat, interdit dans les couvents provoquerait selon Saint Jérôme, docteur de l'Eglise, des effets pervers par son action excitante sur les organes génitaux par vents de haricots interposés. "In partibus genitalibus titilliationem producunt".

Notre rendez-vous avec les instances académiques est pour demain matin . Nous nous gavons de saucisse, d'oie confite et de haricots somptueusement enrobés de magnificences gastronomiques . Notre plein de doléances est arrimé, notre arme souterraine, intestine, concoctée .

Entrés en nombre dans le bureau confiné, notre éminent interlocuteur est très, très rapidement ébranlé par la justesse de notre réquisitoire .

La promptitude de sa décision a-t-elle été influencée par certaines flatulences ?

Peut-être ...
L'union fait la force, l'argumentaire, le sérieux, et les haricots ... l'efficacité .

Kerverous

La guitare, légère, se cisèle dans les frisures du persil. Le violoncelle s’enfouit dans la profondeur du basilic. Le piano, un peu sourd, apporte sa langueur sauvage de laurier. Par petites touches, la fraîcheur piquante de la ciboulette tinte dans quelques notes de flûte pour se perdre dans la gravité lourde de menthe d’un saxo nostalgique. Les ondulations des cordes du thym, émaillé de citron, vibrent dans l’archet du violon. Le battement de l’ail palpite et se mesure aux inflexions débridées des oignons et échalotes, percussions qui heurtent, animent, font danser nos têtes et nos pieds enfouis dans les arômes, bercés par ces modulations dans lesquelles nous aimons nous noyer.

Le frémissement prolongé de la cymbale fait percevoir la subtilité de la marjolaine qui parfume les pizzas croustillantes. Nous valsons avec les poulets qui tournoient dans la cheminée, luisants d’huiles résonnantes d’épices, échappant aux flammèches bleues et vertes qui jaillissent des braises rougeoyantes. Nous attendons le gong qui nous signalera la fin de la lutte entre la bête et le feu en picorant dans les multiples salades et autres sonnailles aux accords martelés.

La grande pièce couronnée d’une mezzanine accueille avec volupté cette soirée « bœuf » où musique et effluves s’emmêlent dans le chas de la nuit. Intimité et liberté, un patchwork de créations sensuelles ouvertes aux regards. Une rencontre enrichie du chœur de la montagne où l’ankou cadence la mesure du temps au rythme du balancement de sa faux.

Tout alentour, les maisons ont été décerclées de leur inclinaison aux reflets mordorés. Les mines sans couvercle s’abandonnent à la mer inamovible des strates du ciel. Les dalles gisent dans l’infini de la terre inaccessible aux labours. L’eau s’infiltre, gémissante, et rouille les feuillets entrouverts, pages burinées par les palimpsestes d’une vie qui ne peut se muer en silence, car sans cesse agitée par les confidences de la lande.

L’ancre de la nuit s’est agrippée à l’éternité où le solo du chant de l’ardoise a été pris en otage par le tourbillon d’une profonde plénitude.

Alchimie d’une fête d’où l’ankou s’est enfui dans sa cacophonie discordante devenue inaudible.

Connivence…

une vie de congre

Ténèbres sous-marines
Une boule noire au sémaphore
Un congre veille
Deux boules noires au sémaphore
Il engloutit la vieille
Trois boules noires au sémaphore
La tempête est proche
La mer ne bouge plus
On l'entend juste respirer par en dessous
prendre son souffle avant l'arrivée du vent .
Le congre est affamé.
Un éclair bleu d'argent et d'acier le captive
il happe la lumière
il se tord, se détord,
il est pris au piège du casier.
Un misérable maquereau l'y a attiré,
dessert empoisonné.

Il entend des voix. Celles de ses prédateurs. Par à-coups, la nasse remonte à la surface. La lumière envahit l'espace, les sons vibrent à l'écho de cette mer déjà attentive à sa prochaine colère.
Un caillou, un coup sec, le congre est assommé, extrait de sa cage. Il combat ardemment le pêcheur heureusement habitué des lieux et de ses locataires. Belle prise. La queue de l'animal fera le bonheur de la soupe de ce soir tandis que son ventrail honorera une matelote d'hiver, salée et dessalée selon les règles de l'art.
Le congre se débat encore. Il exerce en vain sa vengeance sur la main qui sépare à la hachette sa tête de sa queue. Sa forte mâchoire essaie d'agripper les doigts qui le frappent. Sa queue se tend, frissonne, vibre. Ses yeux suivent les préparatifs. Tomates du jardin, ail et oignon qui, au grenier, s'assèchent dans un océan débordant d'effluves de camomille et de centaurée.
Le congre tronçonné va dorer dans un beurre odorant, sublimé par du thym, du laurier et du safran. Il se sent bien au chaud, tapi dans ces senteurs bulbeuses, emmitouflé, porté aux nues d'une gastronomie qu'il ne pensait pas mériter. Il observe du fond de sa cocotte les premiers pas de valse du phare du Créach qui vont permettre à ses bourreaux d'éclairer le festin qu'il leur offre.

Le congre se congratule.
Ses entrailles ont retrouvé les fonds marinune partie de son corps est mis en conservesalée au sel de mer recueilli au grand air
sa queue va être dévorée dans un vent de tempête
en soupe dite pleine d'arêtes,
mais coiffée de senteurs,
dégustée par des amateurs
de goût et de sensations fortes.
Il a bien rempli sa vie
et sa panse.
Seule une petite fille lui laissera un souvenir amer.
Assise face à son grand-père
qui lisse sa moustache plissée de plaisir
une fesse sur le banc,
l'autre à moitié debout,
les pieds sur le postig,
fière de sa grand-mère, cuisinière
pense trop fort :
"Moi j'aime mon pépé,
mais je n'aime pas la soupe au congre".

Et l'œil du congre, au fond de la marmite, se fermera enfin...

le sexe d'une femme déchue

La maison est petite, encombrée.

Des gens se faufilent partout. Ils entrent par les pots de fleurs, sortent par les lits, nagent quelques minutes dans la sous-tasse à café, s’immergent pour se rafraîchir dans la casserole où cuisent les pommes de terre.

Ils mangent des trucs idiots, comme des frites au vinaigre, des sardines à l’huile d’olive avec de la confiture d’airelle. Ils avalent même du café au lait avant de prendre le bateau qui est sur le départ, tosse contre le quai, au grand plaisir des goélands affamés.

La fête se termine enfin. Je suis lasse de crier en silence pour faire cesser ces incessants va-et-vient, cet envahissement fourmillant d’anonymat.

Mais tout un groupe arrive pour fêter un saint breton, Saint Goneri.

À ma grande surprise, tout est prêt pour les recevoir dans une pièce étroite. Quelqu’un m’explique que c’est grâce à l’argent trouvé dans la poche du jean sale d’un anar qui l’avait volé.

Verres propres, bouteilles pleines de liquides aux couleurs vives, tartines d’ardoises feuilletées, dorées, croustillantes et encore tièdes, couvertes d’un beurre fleuri d’herbes vertes et de petites corolles blanches et violettes, véritables mini-bouquets.

Deux femmes, la mère et la fille, sont très émues. Elles s’approchent de mon compagnon pour justifier leurs larmes. Elles font de l’aquarelle, motivées par le plaisir de décorer les murs, « faire joli ». Elles n’avaient jamais tenté de déchiffrer les travaux qu’elles considéraient comme hermétiques, réalisés par des artistes illustres.
Et là, c’est l‘illumination.

Les œuvres exposées sont flamboyantes et intelligibles. Mon ami leur tient alors un discours d’un grand ésotérisme et leur expose son analyse du célèbre tableau : « le sexe d’une femme déchue ».

Elles sanglotent.

Je regarde enfin les toiles exposées qui se mettent à tinter comme les cloches de l’angélus.